vendredi 10 février 2012

Au seuil de la Bastille, la Révolution!

Discours-Fiction de Jean-Luc Melenchon sur la place de la Bastille le 18 mars 2012, 
inspiré de celui de Franklin Delano Roosevelt au Madison Square Garden, le 31 octobre 1936 .

Mesdames et Messieurs,

À la veille de l’élection présidentielle, nous devrions nous arrêter un moment et analyser calmement et sans préjugés les effets pour notre Nation d’une victoire de nos idées.


Le problème auquel nous sommes confrontés est bien plus profond, et bien plus vital que de savoir simplement qui incarnera la Présidence de la France, car il atteint l’humanité elle-même.

En 2012, l’enjeu est de restaurer la démocratie en France en échappant aux désastres certains vers lesquels l'oligarchie veut nous entrainer; je sais au contraire quelle volonté de vaincre nous entraine vers le deuxième tour de cette élection.

La victoire fut la leur en 2007, grâce au Parti Socialiste abandonnant lâchement sa candidate au milieu du gué. En 2012, il est désormais question d'emporter la victoire: la victoire pour une société plus juste; une victoire contre les pouvoirs de l'argent; une victoire pour un destin appartenant au peuple. Cette fois, la victoire sera la notre.

Il y a moins d'un an, lorsque plusieurs partis de gauche m'ont choisi comme candidat commun aux élections présidentielles, j’ai dit : « Aidez-moi, non pas à gagner l’élection pour moi ou mon parti, mais pour que nous restituions ensemble la France à son peuple. »

Les drapeaux rouges de ce combat volent toujours plus nombreux au-dessus des troupes de ce mouvement qui avance. Est-il utile de répéter devant vous qui l'avez conçu, les détails du programme forgé sur l’enclume de  nos expériences. Aucune mauvaise foi, aucune contorsion politique ne sauront cacher, brouiller ou estomper ce que nous avons fait. Aucune attaque de la part de nos ennemis sans scrupule, ni aucune exagération de la part de nos amis soudain attentifs, ne sauront dévier notre route.

Car enfin, quel était notre espoir en 1981 ? Avant tout, nous espérions la Liberté, l'éclosion de pensées nouvelles, affranchies de celles qu'une droite bien-pensante nous imposait depuis si longtemps.

Mais aujourd'hui que cherchons-nous? Après dix années de recul de la Liberté, de l'Égalité, de la Fraternité, piétinées par une droite sectaire, idéologique, autoritaire et sécuritaire, contre laquelle le "plus grand parti de France" ne cesse de nous entonner le chant de "la machine à perdre" et celui des "compromis nécessaires"?


Tout d’abord, nous voulons échapper à la terreur du lendemain qui pèse sur les plus faibles: précaires, femmes seules, chômeurs, mal-logés, jeunes ou vieux, mais aussi travailleurs aux salaires trop faibles, fonctionnaires et salariés harcelés par leur hiérarchie obéissante pour toujours plus de "résultats". En 2010, Ils étaient plus de huit millions à baisser les yeux et avaler leur honte...

Ensuite, nous voulons une juste répartition des immenses richesses que nous produisons chaque jour. Nous voulons d'un avenir serein, où chacun trouverait une place dont il serait fier, avec la satisfaction de laisser à nos enfants un environnement agréable et sûr. Nous voulons des crèches, des écoles, des universités, des lieux de culture, des hôpitaux, des transports publics, des logements sains – toutes ces choses qu’on attend d’un gouvernement local soucieux de l'intérêt général.

Nous cherchons aussi la paix économique et le progrès social à l’intérieur de l'Europe: une protection de la monnaie contre les spéculateurs, des salaires plus justes, la diminution du temps de travail, la sécurité sociale, la reconnaissance pour chacun de décider de son destin, l'accueil de ceux qui veulent nous rejoindre, et la fin des conflits. La Nation sait que je hais la guerre, et je sais que le peuple la hait aussi.

Enfin, nous voulons donner un sens à nos vies dirigées par les règles impitoyables du capitalisme exacerbé. Nous voulons retrouver le goût d'être ensemble, le désir d'aider notre prochain, l'amour qui nous unit à nos conjoints, à nos familles, à nos amis, car c'est cela le sens de l'humanité.

Et dans cinq ans, je déposerai devant vous le bilan de mon mandat : après la bataille, ce sera un bilan de paix, qui préparera la paix future. Ce sera un bilan de réconciliation, avec les individus, avec les communautés, avec la Nation et avec le reste du monde.

Aujourd’hui je voudrais faire l’appel, et nommer tous ceux qui sont sur une liste d’honneur, liste sur laquelle sont inscrits les noms de tous ceux qui veulent décider de leur destin. Sur cette liste sont écrits les noms des millions de personnes à qui la chance n’a pas souri; de femmes et d'hommes dont le salaire ne suffit pas à nourrir leur famille; de familles qui ne peuvent subvenir à l'éducation de leurs enfants chéris; de paysans dont les terres ne sont fertiles qu’en amertume, d'hommes d’affaires, soucieux de la pérennité de leurs entreprises, de propriétaires et locataires menacés d’expulsion par le chômage.

Mais, sur cette liste,  sont également écrits les noms de jeunes qui gardent l'espoir d'un pays aimant leurs utopies; des vieux désirant achever sereinement leur vie au milieu des leurs; de travailleurs aspirant à prendre part aux décisions de leur entreprise; de citoyens soucieux d'écrire ensemble l'avenir de leur Nation.

Sur cette liste s'écriront bientôt en grandes lettres les noms de tant d’autres citoyens, qui ont leurs yeux pour voir et leur cœur pour comprendre là où nous les emmenons; ceux dont la conscience alarmée par les difficultés de leurs compatriotes accablés, qui nous regardent, et qui se disent: « Leur sort peut être changé. Ensemble, nous le changerons. »

Un jour prochain, leur espoir deviendra notre bilan. Nous n'arriverons pas aussi loin sans livrer bataille et je peux vous assurer que nous ne pourrons continuer à avancer qu’en en livrant d’autres.

Car pendant dix ans cette Nation fut affligée de gouvernants qui ne voulaient rien entendre, qui ne voulaient rien voir mais, surtout, servaient les intérêts de leurs mentors. La Nation tournait son regard vers son gouvernement, mais le gouvernement détournait ses yeux. Cinq  années passées avec le Veau d’Or et cinq autres longues années de fléau! Sept années folles sur les places boursières puis trois longues années de pillage du bien public. Sept années de mirage et trois années de désespoir. Ceux dont les réseaux puissants s’efforcent aujourd’hui de maintenir leur gouvernement agonisant, n'abandonneront jamais leur objectif de domination, envers et contre l'intérêt général.

Pendant les cinq années qui viennent, nous sentirons le souffle tiède de leur haine dans notre dos, et cette haine nous indiquera le bon chemin. Nous lutterons ensemble contre les vieux ennemis de la justice – les rentiers, les financiers, le complexe militaro-média-industriel, les groupes de pressions, les monopoles privés, le syndicat patronal, les spéculateurs, les experts aux ordres, et autres "chiens de garde" d'un dogmatisme éculé. Ils ont assez considéré les États comme de simples rouages au service de leurs affaires privées; nous les poursuivrons, et les jugerons équitablement, mais sans faiblir.

Pendant les cinq années de mon mandat, nous transformerons notre Constitution pour que plus jamais une loi repoussée par la voix du peuple, ne s'impose finalement à lui; nous supprimerons les loi scélérates que nos prédécesseurs ont votées contre l'intérêt général; nous agirons toujours avec votre accord et dans l'intérêt que vous aurez décidé. Je vous le dis tout net: à moins que la conscience de ses habitants ne les rattrapent soudain, nous désespèrerons Neuilly, Auteuil et, s'il le faut, Passy aussi!


Et, chemin faisant, nous serons calomniés, humiliés, décriés, attaqués, y compris par ceux que nous considérons comme nos cousins, attirés par le confort des ors de la République. Sans relâche, nous répliquerons, nous démontrerons, nous construirons, nous convaincrons.


Ils vous disent: "la liberté de circulation des biens et services, pour une concurrence libre et non faussée". Ils ne vous disent pas que la privatisation de l'assurance santé bénéficie à leurs amis dirigeant les compagnies d'assurance; ils ne vous ont pas dit que leur Europe aux obscures règlementations, organise la concurrence interne de la main-d'œuvre, au lieu d'y favoriser les coopérations. Ces omissions sont des tromperies.

Ils vous disent: "L'argent manque, la dette est trop élevée, la France est en faillite". Ils ne vous disent pas qu'ils ont entrainé la dette de votre pays dans un abime, détournant 600 milliards en cinq ans dans les coffres de leurs maitres. Ceci est une tromperie.

ils vous disent: "La France aux Français, l'immigration vous coûte cher, il faut l'interdire". ils vous mentent: en 2005, les cotisations des personnes étrangères en situation régulière dépassent les bénéfices qu'ils en tirent légitimement, de 12 milliards d'euros. Mais qui penserait évaluer le "coût" des personnes de plus de 70 ans? En revanche, le solde devient en effet négatif lorsqu'on y inclut l'estimation de l'immigration clandestine...  Qui interdit la consommation de tabac sous prétexte du "coût" du trafic de cigarettes? Tout ceci est une tromperie.

ils vous disent: "L'assistanat est le cancer de la France". Ils vous cachent que l'OCDE estime à 220 milliards d'euros (11% du PIB) le montant du blanchiment d'argent chaque année. Le montant de la fraude fiscale internationale annuelle en France, 20 milliards d’euros, représente un tiers du budget de l’éducation. Pourquoi ne poursuivent-ils pas ces délinquants en col blanc? Ceci est une tromperie.

Ils vous disent: "Les centrales nucléaires sont des sanctuaires sécurisés produisant une énergie deux fois moins chère". Et ils ne savent quoi faire de leurs déchets, et dépouilleront vos enfants au temps des démantèlements. Ceci est une tromperie.

Ils vous disent: "Les taxes sur les transactions financières doivent être mises en œuvre au niveau mondial", en sachant qu'ainsi, ils ne les imposeront pas, ou a un taux si faible qu'elles ne restreindront pas la spéculation. Ceci est une tromperie.

Ils vous disent:"Ne croyez pas ces populistes qui vous promettent salaires de base, retraites anticipées, diminution du temps de travail, gratuite des services publics, agriculture raisonnée..." Tout cela existe, ou bien a existé. C'est une question de volonté collective, ceci n'est pas une tromperie.

Vous avez constaté que les médias nous réservaient une audience minimum, pour expliquer des idées pour la plupart inconnues des masses, et qui nécessitent donc de longues explications, comparées aux recettes usées que l'on nous assène à longueur de chroniques, jusqu'à ce que la tromperie initiale revête les habits de la "vérité". J’ai exprimé mon indignation par rapport à cette forme de discrimination, et je suis persuadé que l’écrasante majorité des électeurs partage cette indignation. À part cet aspect, je préfèrerais me souvenir de cette campagne comme âprement disputée. C’est parce que nous pensons en terme de Nation toute entière, en terme de temps long, en terme de cohérence économique, en terme d'égalité et de réconciliation, que je suis convaincu que notre vision de l’avenir contient plus que des promesses: c'est une méthode. Si nous l'adoptons, elle aboutira à l'intérêt général. Ceci est notre réponse à ceux qui, ne disant rien de leurs propres plans, ou cherchant un "sens" à une austérité qui n'en a pas, nous demandent de définir nos objectifs, de chiffrer nos propositions.

Bien sûr, nous engagerons par la loi l'amélioration des conditions de travail, l'augmentation des salaires, la promotion de la négociation collective. Le combat pour tout cela ne fait que commencer.

Bien sûr, nous rétablirons les services publics financiers, de l'énergie, des transports,  du logement, de l'emploi, de la santé, de la justice, de la police, de l'éducation, de l'eau. Le combat pour tout cela ne fait que commencer.

Bien sûr, nous poursuivrons les efforts en faveur des agriculteurs "raisonnables", pour une meilleure utilisation des terres, pour le reboisement, pour la protection de l’eau depuis sa source jusqu’à la mer, pour le contrôle des sécheresses et des inondations, pour de meilleurs moyens de commercialisation des produits agricoles, pour l’encouragement des coopératives agricoles. Le combat pour tout cela ne fait que commencer.

Bien sûr, nous veillerons à l'équité de l'effort de chacun par une juste contribution en faveur des plus démunis, à ce que les jeunes aient accès à une éducation de qualité et une occasion de s’en servir, à protéger les consommateurs contre les prix injustifiés, contre les coûts rajoutés par les monopoles privés ou la spéculation immobilière.

Pour tout ceci, et aussi pour une multitude d’autres choses, notre combat ne fait que commencer. Car peu à peu, les citoyens prendront leur sort en main, pour combattre les "chapelles", la corruption "invisible", les arrangements entre "amis", tous les mécanismes qui les dépouillent de leur libre-arbitre.

Nos idéaux, nos objectifs, nos méthodes et nos actions sont respectueux de l'épanouissement individuel et garants de l'accomplissement collectif. Notre discours de vérité vise la responsabilisation de chacun, mais aussi la solidarité de tous. C'est notre camp, notre vision. Au contraire, ceux qui dressent les uns contre les autres, qui affirment qu'un seul chemin, le leur, est possible, qui feignent de s'opposer en ne proposant que des "orientations de détail", qui prétendent détenir le principe de réalité par leur diplôme, leur statut ou leur culture, ceux qui cultivent le secret, ceux qui louent l'intérêt des privilèges, appartiennent au camp d'en face. Ceux-là devront apprendre, avec nous, la coopération, l'entraide, la solidarité, la négociation pour ensuite nous rejoindre.

Et c'est ainsi que notre mouvement infime en entrainera d'autres dans son sillage. C’est pourquoi l'élan que nous visons, la reprise où nous serons gagnants, est plus qu’économique. C'est une vague puissante et bienveillante qui répand sur son chemin justice, amour, tolérance et humanité par l'engouement qu'elle suscite. C’est la voie tranquille de la paix.

2 commentaires:

  1. très beau discours, Nafissatou! (je viens de découvrir ton blog)

    à une autre fois, carole

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  2. excellent! ca souleverait tout un peuple! bravo je viens aussi de découvrir ton blog et je vais te suivre car j'adore ton style!

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