jeudi 14 février 2013

Fin de droits, fin de vie

Hier, un chômeur de 43 ans, dont l'indemnisation venait de lui être refusée, s'est donné la mort par le feu devant son agence "du travail" à Nantes.

Avant-hier, il avait prévenu le personnel de l'agence de ses intentions. Sans doute a-t-il fait d'autres choses, au milieu de son désespoir. Les journalistes n'en disent rien.

Les journalistes sont concentrés sur la réaction du gouvernement "très fortement ému". Le ministre du travail a déclaré que
"tout a[vait] été fait" pour éviter le drame, et que "les règles [d'indemnisation] ont été appliquées avec l'humanité qui convient, avec les explications nécessaires."

Puisqu'on vous dit que c'est la fatalité, qu'il n'y avait rien de mieux à faire dans ce cas désespéré.

Les pompiers et la police l'attendaient sur les lieux; il a fait ce qu'il avait dit; mais ils ne l'ont pas vu arriver; il n'ont pas pu intervenir alors qu'il brûlait déjà. Puisqu'on vous dit que TOUT a été fait.

Son conseiller avait tenté de le joindre plusieurs fois au téléphone; mais il ne répondait pas; il avait sans doute bien d'autres choses à faire, quelques heures avant de se tuer; son conseiller a insisté; toujours pas de réponse. A-t-il laissé un message au désespéré? Puisqu'on vous dit, le ministre de la République en tête, que TOUT A ETE FAIT pour l'empêcher  de commettre l'irréparable.

Et puis, le premier ministre a rappelé que le personnel de Pôle Emploi travaille dans des conditions difficiles, au plus proche de la détresse des gens, et qu'il a bien rempli sa mission.  C'est finalement cet aspect de l'affaire que les médias ont choisi de traiter, collant très précisément à la communication gouvernementale. Tout a été TRES BIEN fait.

Quel sens voulait donner ce chômeur à sa propre mort? Il prépare son bidon d'essence, s'assure que ses allumettes fonctionnent, s'habille comme chaque jour avec des vêtements d'autrefois, achetés quand il travaillait encore. Et il annonce sa décision par emails. Tout fut fait, réfléchi, décidé, à la suite du rendez-vous qui l'informe de la fin de son indemnisation.
TOUT A ETE FAIT, je le répète pour être sûre d'être entendue.

Quel homme était-il? Capable de tant de lucidité dans la détresse qui l'accable! Quel homme était-il? Capable d'un courage si peu répandu aujourd'hui! Quel homme était-il, pour faire valoir d'exemple sa propre mort? Quel homme était-il, dont la détermination certaine avait échappé depuis bien longtemps aux employeurs potentiels? Nous ne le saurons pas. Cela n'intéresse ni les médias, ni les politiques, et finalement si peu leur public. Mais TOUT a été fait, car le chômage est la priorité du gouvernement.

La réaction "officielle" la moins affligeante est exprimée par  Philippe Grosvalet, président du Conseil général de Loire-Atlantique : "Consterné par le suicide d'un homme cet après-midi à Nantes, je m'associe à la douleur de ses proches et leur adresse toutes mes condoléances. J'ai également une pensée particulière pour celles et ceux qui ont assisté à ce drame, sans pouvoir agir. Cet événement dramatique témoigne d'une réelle souffrance sociale que nul ne peut ignorer et qui interroge chacun à quelque niveau de responsabilité qu'il soit - citoyen, salarié, employeur ou élu. Face au chômage qui accable nombre de nos concitoyens, la mobilisation pour l'emploi et l'accès aux droits est d'une urgence vitale." Tout a été fait, les voeux les plus pieux compris.

Ironie des actualités qui se succèdent, France 2 affirmait il y a moins d'un mois, au journal de 20h pour garantir l'assentiment d'un large électorat, que "le chômage [était] quasi-absent en Pays de Loire", grâce au recours massif des employeurs aux contrats précaires.

Cette propagande grossière, concoctée dans le cadre des "accords" Syndicats-Medef, prend aujourd'hui un nouveau sens. Tout aura été fait, même le pire.

Car nier la réalité de millions de personnes vivant en France dans la pauvreté, nier l'évidence d'un gouvernement qui a choisi le camp opposé à ceux qui l'ont élu, et considérer comme assistée et coûteuse cette misère qui devrait nous faire honte et mobiliser la solidarité de tous, c'est pousser les plus exposés aux solutions ultimes.

Avant d'en arriver là, et dans les mêmes circonstances, le peuple tunisien a choisi le vrai changement au printemps 2011. La Révolution du Jasmin est née de la mort exemplaire de l'un des leurs, qui aurait pu être leur père, leur frère, ou leur mari.

En France, qui s'en émeut? Vous? Certainement pas le ministre du travail, qui estime que tout a été fait, avant d'ajouter:
"il y a parfois des moments où on est dans une telle situation, qu'on ne comprend plus les explications".

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