vendredi 13 avril 2018

Un tumulte, dit-on, s’élève dans la place, (Corneille)

Monsieur le Président,

Étudiants destinataires du doux mémo explicatif que vous avez bien voulu nous faire parvenir, à fin sans doute de calmer les esprits et de rassurer définitivement les tempéraments chagrins qui verraient dans la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) une forme de discrimination à l'entrée des bacheliers à l'université, nous aimerions partager avec vous quelques observations, tant sur la forme que sur le fond du sujet qui vous occupe.
Sur la forme:

- A ce jour, et selon les sages directives du ministre Blanquer, l'écriture inclusive n’est toujours pas officiellement admise, a fortiori dans les documents administratifs d’importance, tels, par exemple, que votre message. Nous regrettons avec vous la misogynie de notre langue, mais nous consolons en pensant aux grandes écrivaines qui ont marqué la littérature française, dont nous remarquons au passage qu’aucune n’obtint à ce jour le prix Nobel de littérature. Admettez que l'injustice des hommes sévit bien au-delà des appareils législatif et judiciaire !

- La forme passive que vous employez tout au long du premier paragraphe, pour décrire de manière claire et limpide les inacceptables exactions dont l’Université Grenoble Alpes a fait l’objet, manque singulièrement de chair, comme si vous ne pouviez précisément nommer les responsables de ces attentats redoutables, et nous interroge. Cette forme, communément admise dans la langue française, enseignée dès le Cours Élémentaire 1ère année avec la conjugaison du verbe être, se distingue par sa désincarnation. Les phrases : « il a été passé par les armes », « elle a été mise à pied », « vous avez été mal orientée », « ils ont été empoisonnés » ont ceci de commun qu’elles éludent systématiquement leur sujet réel, suscitant chez le lecteur attentif un sentiment d’inachevé, la sensation qu’on lui cache l’essentiel, l’impression térébrante de subtile dissimulation. Lorsqu’il s’agit d’un roman policier, dont la mission est de tenir le lecteur en haleine d’un imprévisible dénouement seulement révélé à la cinq-centième page, la forme passive peut garantir l’épaisseur du mystère avec l’indicible frisson qui fait le charme de la narration. Mais lorsqu’il s’agit d’un fait divers, le pigiste débutant prend soin de relater les éléments collectés avec l’exactitude du témoignage recoupé, garant de sa longévité dans la profession, en répondant aux sempiternelles mais non moins essentielles questions : qui ? quoi ? quand ? où ? comment ? Pourquoi ?

Or, dans votre récit, épris de rigueur formelle et de sincérité, nous avons été surpris de constater que le « qui » et le « pourquoi » sont totalement absents, comme évaporés ou secondaires, ou bien laissés à l’appréciation connivente du lecteur. Et nos pères, nos mères et nos maîtres nous ont appris que l’on dit moins que ce que l’on ne dit pas. C’est la question herméneutique du sens que l’on donne au non-dit. D’où notre embarras. Car certains esprits, débutant à peine leur chemin dans le temple du savoir et des connaissances, n’ayant pas encore accédé à l’indispensable discernement critique sans lequel la pensée est en vente dans tous les bons journaux télévisés, pourraient vous prêter des intentions erronées comme : « ah ouais, c’est encore les p... de casseurs d’extrême gauche, les anarcho-autonomes. Ces c..., ils ont tout cassé encore une fois, avec leurs battes de base-ball, leur cache-nez et leur capuche. Ils ne sont jamais contents. Ils critiquent tout, mais au lieu d’écouter et de comprendre, ils détruisent. » Bien sûr, vous vous adressez à l’élite de la nation et vous vous placez à hauteur céleste, mais la situation aurait mérité que vous vous préoccupâtes du moindre risque d’interprétation simpliste, qui attiserait à votre insu les tensions malgré votre indubitable souci d’apaisement.

- L’usage excessif et très systématique d’acronymes inconnus de nous nuit à la compréhension précise de vos directives. Auriez-vous l'obligeance, s’il vous sied, de nous indiquer par retour la signification de: DGD, RH, CUEF, LE, LLASIC, SI, ComUE et IDEX.
- Dans le premier alinéa, la syntaxe « agissements agressifs, irrespectueux et attentatoires aux libertés des personnes et des biens » est incorrecte. Si l’on devine ce que vous entendez par les libertés des personnes, c’est-à-dire les capacités des individus à se déplacer sous votre contrôle dans les endroits où vous aimeriez les voir se comporter selon vos attentes, le concept de « libertés des biens », est beaucoup plus abscons, voire ésotérique, pour ne pas dire inintelligible. Car enfin, qu’est-ce qu’un bien sans maître, fût-il privé ou collectif ? Un bien libéré de tout propriétaire, qui errerait de-ci, de-là ? Un bien qui userait contre toute attente de sa liberté de conscience ? Un bien qui se rangerait du côté des contestataires, des protestataires, refusant l’état pour lequel il était destiné et revendiquerait, l’insolent, son émancipation ? Si vous consentez avec nous à sourire de ces exemples ridicules, vous voudrez bien corriger votre texte selon la recommandation suivante : « agissements agressifs, irrespectueux et attentatoires aux libertés des personnes et AUX biens » ce qui, sans être d’une élégance remarquable, fait plus d’honneur aux efforts laborieux des maîtres des petites écoles.

Sur le fond:
- Ayant d’évidence assisté aux scènes atroces que vous décrivez avec l’exigence d’authenticité citée plus haut, vous avez agi avec célérité et diligence. Nous imaginons que plainte fut portée et qu’enquête est en cours. Cela expliquerait en tous cas l’invraisemblable déploiement de contingents militaires à la recherche de preuves, contraints d’isoler les scènes de crimes, mais perturbant notablement l’accès aux salles de cours, ce qui ajoute à la frustration des élèves appliqués à élever le niveau culturel national.

- Vous condamnez la violence, et nous vous en savons gré. Récemment, sous d'autres cieux, un directeur d'Unité d'Enseignement et de Recherche n'a pas eu vos pudeurs, revendiquant à la télévision le recours à une milice pour évacuer « avec fermeté » un amphithéâtre de droit illégalement occupé par des activistes dont les intentions coupables n’étaient pas dénuées d'arrière-pensées douteuses.

- Vous citant : « C'est l'ensemble de la communauté universitaire qui est touchée par ces agissements agressifs, irrespectueux et attentatoires aux libertés des personnes », nous souscrivons, et contresignons avec vous. C’est aujourd’hui l’ensemble de la communauté universitaire qui est touchée : élèves, professeurs, chercheurs, personnels administratifs et techniques. Il est à craindre que cette loi inique, ce cheval de Troie d’une sélection qui avance masquée, embrase bientôt « l’ensemble » de la communauté nationale. Agissements agressifs ? Comment mieux qualifier une loi qui se joue de la procédure parlementaire. Cuisinée à la hâte par des technocrates sans âmes, mise en œuvre avant même d’être votée par des parlementaires dépassés et ignorants, consentie par des bachelants sommés d’exercer leur liberté d’orientation dans les délais, la loi apparaît soudain dans sa cruauté nue : les pré-requis sont sociaux, quasi ethniques, toujours discriminants. Agissements irrespectueux ? Si vous entendez par là le manque de considération et d’égards pour des étudiants qui se sont sentis solidaires de leurs successeurs au titre de bachelier, nous vous donnons raison. Ce à quoi, l’humain s’obstinant dans sa nature imparfaite et ses humeurs rudimentaires, réagit à la provocation par la provocation, à l’amour par l’amour, à l’estime par le respect, etc. Attentatoires à la liberté des personnes ? Voilà par quoi vous auriez dû commencer votre exorde. Votre auditoire eut été aussitôt captivé. Pour peu que vous eussiez brandi l’argument « liberté » en amont, vous auriez emporté non seulement l’admiration, mais aussi l’adhésion de tous. Cette invention française, et donc universelle, orgueil national cher à tous les êtres de chair, surpasse et de loin la notion de respect, aussi galvaudée que celle d’égalité. Tandis qu’avec la Liberté proclamée en lettres d’or (jeu de mots), vous caracoliez en tête d’une foule enthousiaste à l’idée d’une loi pour la réussite, avec les « perturbations » et les « blocages » vous entraîniez au contraire les visages vers l’abîme et la déprime, nommés ici « orientation ». Ne négligez pas le ressort émotionnel de la Liberté auquel vous pourrez, avec bonheur, adjoindre de temps en temps celui de la Fraternité. C’est un peu de gauche, mais c’est aussi catholique, ça rassemble.

- Nonobstant tous les commentaires additionnels que nous voulions partager avec vous, nous en finirons par les « revendications incompréhensibles », car il est tard et que nous devons retourner demain à « la tâche ardue » de défendre les droits de nos successeurs, autant qu’à nos « chères études ». Nos revendications sont simples, concernant l’accès à l’université : il doit rester « de droit » pour tous les bacheliers, ce qui est le sens même du baccalauréat, inscrit au Code de l’Education, et la seule garantie que la République reste une et indivisible eu égard à cet accès. La discussion est ouverte pour ce qui est du volet « réussite » de la loi : amélioration des conditions de vie des étudiants, aménagement d’un parcours personnalisé, embauche de professeurs supplémentaires, accueil des étudiants porteurs d’un handicap, réfection des locaux vétustes … Et un slogan : « de ce tumulte jaillirent de nouvelles libertés»

Sans doute avez-vous éprouvé dans le ton de cette lettre quelqu’agacement à nous lire. C’est une mesure volontaire de réciprocité. Au ton moralisateur et paternaliste que vous utilisez, nous répondons par l’ironie et la condescendance. Si vous essayiez la prochaine fois de montrer quelqu’intérêt aux opinions dissidentes, un peu de curiosité pour les motivations et doutes qui habitent nombre d’étudiants, un soupçon d’empathie pour une jeunesse qui peine à obtenir la considération de ses aînés qui la négligent et l’exposent aux violences économiques, peut-être alors changerions-nous de ton. Si l’on osait, nous vous suggérerions la bienveillance, la gentillesse, l’humour, l’apaisement et l’écoute. Toutes attitudes auxquelles un éducateur devrait s’obliger, pour « élever l’âme » de la nouvelle génération, et chercher ensemble le chemin de l’humanisme.

Salutations,

Le Comité

----- Message transféré -----
Cc :
Envoyé : mar., avr. 10, 2018 à 15:28
Objet : [etu-2017] Perturbations et blocages / message à étudiants de l'UGA
Cher.es étudiant.e.s,

Depuis la semaine dernière, notre établissement et le campus de Saint-Martin-d’Heres font l'objet de perturbations et de blocages. Mardi dernier, le bâtiment de la Présidence a été envahi et saccagé. Depuis jeudi dernier, l'UFR de l'ARSH est bloquée et les cours ont été, dans la mesure du possible, maintenus et délocalisés. Depuis ce lundi, le bâtiment Veil, tout comme le bâtiment Stendhal sont également bloqués empêchant les personnels de la DGD RH et DGD Finances et Achats, le CUEF, les deux UFR LE et LLASIC ainsi qu'un certain nombre de cours qui n'ont pas pu être déplacés dans d'autres locaux.

Dans ce contexte, je tiens à vous rappeler les points suivants : 

- je condamne avec la plus grande fermeté les actes de violence et les dégradations. C'est l'ensemble de la communauté universitaire qui est touchée par ces agissements agressifs, irrespectueux et attentatoires aux libertés des personnes et des biens. Nous ne pouvons pas tolérer ces actes inadmissibles qui vont à l'encontre des valeurs que nous défendons quotidiennement sur ce site.

- je mets tout en œuvre pour assurer la sécurité des biens et des personnes et maintenir le fonctionnement normal de l’établissement. C'est pourquoi les bâtiments bloqués ont été évacués et fermés aux étudiants et personnels. La majeure partie des enseignements a été maintenue et délocalisée dans d'autres locaux afin de ne pas porter préjudice à une très grande majorité des d'étudiants qui souhaitent simplement poursuivre leur année universitaire dans les meilleures conditions possibles.

- Une partie de l'administration est également impactée par le blocage de Stendhal et fait face à des difficultés notamment dans le traitement de la paie des personnels non titulaires de notre établissement. La direction générale, la DGD SI et les différentes directions des composantes sont mobilisées pour trouver des solutions de relocalisation pour les personnels impactés afin de maintenir la continuité de service.

- Dans ces conditions difficiles, je tiens à vous redire combien la présidence et l'administration ainsi que nos collègues de la ComUE sont mobilisés pour maintenir les enseignements et poursuivre notre mission de service public. Toutefois, cette tâche est ardue, car, comme vous pouvez le constater, nous avons à faire, parmi les manifestants, à une minorité d’individus dont beaucoup de non étudiants très radicalisés, ayant une volonté affichée de troubler l’ordre public.

- j’ai adressé, à plusieurs reprises, un message ferme précisant que la présidence serait intransigeante vis-à-vis de toute forme de violence, intrusion ou occupation nocturne illégales dans les locaux de notre établissement, tout en restant ouvert et disponible pour échanger avec tous les étudiants prêts au dialogue.

- Enfin, face à des revendications incompréhensibles au regard de la position de notre établissement vis-à-vis de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), je vous réaffirme que l'un de nos engagements fondamentaux pour mettre en œuvre cette loi à l’Université Grenoble Alpes est d’orienter les étudiants, non de les sélectionner. A mon initiative, les partenaires de l'IDEX grenoblois ont octroyé une enveloppe d'un million d'euros pour renforcer le dispositif car nous avons l'exigence d'assurer une meilleure orientation, un meilleur accompagnement pour que vous puissiez réussir à l’université. 

Bien cordialement,

Patrick Lévy, 
Président de l'Université Grenoble Alpes 

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