samedi 4 mai 2013

Pour une VIème République, mais comment?

La "démocratie française" a mal. A l'occasion du référendum pour le Traité de Constitution Européenne, les électeurs avaient exprimé leur défiance à l'égard de constitutionnalistes qui les avaient écartés du débat. Tout juste ceux-ci avaient-ils bien voulu faire preuve de pédagogie, sans convaincre, mais la suite a montré qu'ils n'en avaient cure. A l'occasion de la crise des subprimes, née de l'impéritie de banquiers libérés de tout contrôle réglementaire grâce à la magie de la mondialisation, les électeurs furent convoqués au sauvetage par des politiciens corrompus qui se sont passé, et pour cause, de leur avis.

Mais que pouvions-nous faire? Les gouvernants, issus de processus "démocratiques", invoquèrent sans honte leur "légitimité". Rappelons-nous également les réactions européennes à la décision éphémère de M. Papandréou, premier ministre grec, de faire appel au référendum pour valider le plan de redressement pourtant imposé par la troïka: "le référendum ne doit pas être sollicité".

Si les conditions économiques étaient favorables, presque personne n'en ferait cas; nos dirigeants poursuivraient leurs politiques écologiquement désastreuses, socialement injustes, et financièrement démissionnaires, sans que les contrepouvoirs, si faibles, ne s'en émeuvent.

De tous temps et partout, les puissants ont un objectif commun: augmenter leur puissance. Ils ont un ennemi véritable: l'intérêt général, résultant de la volonté du peuple. Ils ont la certitude définitive que l'égalité est un leurre nuisible à leurs privilèges durement acquis. Pour les défendre, ils se sont dotés de redoutables armées, grassement rémunérées pour les services rendus, constituées dans les démocraties occidentales de politiciens libéraux, de technocrates formatés, de média subordonnés, de lobbies idéologues, manipulant à l'envi des électeurs bâillonnés. Ces armées entretiennent la crainte de la faillite en brandissant le mensonge de la dette, l'illusion du bonheur en glorifiant la consommation, la réputation de leurs maitres en cultivant la communication. On croit que les partis politiques principaux défendent des projets de société opposés? Pas du tout! Ils se répartissent les prébendes, se cooptent, s'interchangent pour mieux camoufler l'idée d'alternatives possibles. Car éterniser la guerre économique qu'ils nomment "crise", c'est éterniser leur tyrannie. Pour citer Victor Hugo: "Il y a une farouche fraternité des glaives, d’où résulte l’asservissement des hommes."

Qui ne s'est pas interrogé, à l'occasion de la réforme des retraites de 2008 en France, de ce que les syndicats, poussés par leurs bases pendant de nombreuses semaines, n'abandonnent soudain la lutte, gagnés à la cause d'une droite décrite comme "courageuse"? La reddition des dirigeants syndicaux, la molle velléité de l'opposition d'alors, l'assurance de la majorité confortée par les médias de masse ont suffit à contraindre le peuple majoritairement opposé à cette réforme, à l'accepter.

Mais désormais, les conséquences du mépris de nos aristocrates (au sens étymologique "les meilleurs d'entre nous") pour la démocratie en général, et le peuple en particulier deviennent désastreuses. En Grèce, au Portugal, en Espagne, mais également en France, le peuple souffre pendant que ses élites profitent. Les injustices sont flagrantes, les suicides fréquents, les scandales permanents.

Le vrai, le seul problème est la captation des pouvoirs par une oligarchie restreinte et sans scrupules. Les élections en France garantissent depuis quarante ans l'accession au pouvoir d'aristocrates formés pour cela et convaincus que leur clairvoyance vaut mieux pour le pays que l'opinion de ses citoyens. Car pour être élu, il faut en avoir les moyens. Pour être invité dans les médias qui font l'opinion et la notoriété, il faut faire partie d'un sérail exclusif, méticuleusement trié par une poignée de médiacrates omnipotents.

Pourquoi, encore, les "petits" candidats aux dernières élections présidentielles, si méprisés par ces médiacrates imbéciles, qui dévoilent ainsi leur stratégie, perdent-ils la parole 58 mois sur 60? Non qu'ils arrêtent leur militantisme, non qu'ils soient remplacés par de nouvelles têtes; c'est seulement qu'en dehors des obligations électorales que leur impose un CSA très peu indépendant, les média ne leur donnent pas, ou si peu, la parole.

Et surtout, pourquoi le référendum n'est-il jamais plus proposé par la majorité qui le réclamait quand elle prétendait être dans l'opposition? En période de crise, ne serait-ce pas une manière exemplaire d'associer la population au redressement du pays?

La cinquième république est à l'agonie. Ses représentants imposent leur stratégie libérale contre l'intérêt général. L'exécutif impose à ses députés des votes qui bafouent la loi de séparation des pouvoirs. Le président de la république atteint des abysses de popularité, désormais critiqué par ses partenaires parlementaires, les membres de son propre parti, le président de l'Assemblée Nationale et même par ses propres ministres!

Doit-on attendre que la droite traditionnelle, ralliée au Front National, gouverne la France pour dévaster le peu qui reste, ou prenons-nous notre sort en main pour destituer l'aristocratie qui nous gouverne et instituer la république enfin populaire? Mais pour cela, il faudrait que le sentiment insurrectionnel gagne une large frange de la population, dont les principales composantes sont soit trop occupées par la tâche difficile de joindre les deux bouts, soit trop effrayées de leur audace de pensée...

Pourtant, il y aurait un moyen républicain de rendre le pouvoir au peuple, au détriment des élites. Il consiste à changer de constitution, à modifier les règles auxquelles la démocratie ("le pouvoir du peuple") obéit. De la même façon que la démocratie athénienne est née de l'opposition à la tyrannie, la genèse de la sixième république tiendrait de son opposition à l'élitisme, à la corruption des puissants et à la technocratie. Elle rétablirait des contre-pouvoirs soucieux de défendre l'intérêt général tel que perçu par la majorité des citoyens.

Encore faudrait-il, pour que cette utopie progresse dans les esprits puis dans les faits, que les hommes au pouvoir, acculés par une pression populaire gigantesque, convoquent une Assemblée Constituante et acceptent de rester en marge du processus, en la désignant par tirage au sort au sein d'une société civile volontaire.  Afin que cette Constituante ne puisse être juge et partie, elle ne pourrait intégrer aucun élu passé; aucun de ses membres ne pourrait se présenter à des élections ultérieures. Autrement dit, elle n'aurait d'autre motivation que d'établir des règles républicaines assurant que les représentants du peuple ne puissent prendre aucune décision d'importance sans que le peuple se prononce en son propre nom.

J'entends déjà les moins curieux frémir au mot d'utopie, et les plus pusillanimes s'offusquer d'un tirage au sort risquant de désigner de parfaits abrutis à des fonctions éminentes. Aux premiers je réponds qu'il fut un temps où l'abolition de l'esclavage était une utopie; aux seconds que la taille de l'Assemblée tirée du sort, sa diversité par essence et sa représentativité statistique garantissent au mieux l'expression de l'intérêt général, au contraire de l'élection qui assure la dérive oligarchique.

Il ne tient qu'à nous de nous mobiliser pour l'avènement de cette nouvelle constitution, en convainquant voisins, collègues, famille et amis de l'intérêt pour chacun de prendre sa part de citoyenneté abandonnées aux mains incertaines de politiques au mieux muselés par les logiques de partis, au pire vendus aux intérêts des élites. Alors, qu'attendons-nous?

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